Jean-Loup Trassard
Causement
Texte & photographies
2012. 80 p. 16,5/24.
ISBN 978.2.86853.582.5
24,00 €
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Le livre
«Si limitée qu’elle soit, cette recherche tente de réhabiliter le patois dans l’estime de ceux qui l’ont abandonné, c’est-à-dire de chasser l’humiliation par l’Histoire. Car il n’y a pas de langue mauvaise, toutes servent à communiquer et toutes ont une histoire. Notre patois c’est évident au moins pour une large part de son vocabulaire n’est pas un causement défectueux, il est notre héritage gaulois, latin, gallo-romain, transmis par les artisans, commerçants et cultivateurs qui ont fondé les bourgs et les fermes isolées du bocage aux environs des XIe et XIIe siècles, puis par tous ceux qui leur ont succédé.»
Le patois mayennais dont il usa dans son enfance avec une certaine délectation , Jean-Loup Trassard est toujours tenté de le laisser affleurer dans son écriture, comme une survivance de la campagne sur le point de disparaître, ainsi que pour le plaisir d’une certaine sauvagerie de l’expression. Son intérêt pour cette langue sans nom l’a conduit à noter les formules plaisantes, mais plus encore à rechercher l’origine des mots. Ainsi a-t-il constitué un bref lexique d’une petite centaine de vocables dont il donne la définition, accompagnée parfois d’un exemple. Traces «d’un goût, d’un choix, d’un jeu», enrichies d’une quinzaine de photographies inédites d’objets usuels prélevées parmi ses plus belles.
L’auteur
Jean-Loup Trassard est né à la campagne, l'été 1933. Il publie pour la première fois dans la N.R.F. en 1960 puis, à partir de l'année suivante, plusieurs récits chez Gallimard. Outre quelques livres de proses, nous avons publié dans la série «Textes & Photographies» Territoires (1989), Images de la terre russe (1990), Ouailles (1991), Archéologie des feux (1993), Inventaire des outils à main dans une ferme (1981 & 1995), Objets de grande utilité (1995), Les derniers paysans (2000) La composition du jardin (2003), Nuisibles (2005), Le voyageur à l'échelle (2006), Sanzaki, (2008) ainsi que Eschyle en Mayenne (2010). Après Conversation avec le taupier (Le temps qu’il fait, 2007), il a fait paraître L’homme des haies en 2012 aux éditions Gallimard.
Extrait
Vieu-tu qu’on s’pille ? m’a proposé un violent petit rouquin irrité par le fait que, nouveau dans la classe, j’attirais trop l’attention des enfants à la récréation. Je n’avais pas encore mes sept ans et je n’étais jamais allé à l’école. Se piller, c’est se battre. Mon manque d’entendement m’évita une bagarre où je n’aurais eu aucune chance. J’appréciai, au contraire, quand deux ou trois jours après, une petite fille courut à mes côtés, tenant un pan de ma blouse en vichy bleu, elle répétait j’t’eume bin, ma ! Je me suis mis assez vite à employer le patois entendu de la bouche des enfants puis, à partir de dix ans, dans la ferme voisine où je passais mes journées.
Ce parler campagnard était un mélange de mots anciens, de conjugaisons particulières et de quelques déformations, le tout pris dans une prononciation qui ne laissait guère saisir à l’auditeur citadin que les rares mots d’un argot venu des villes avant guerre. Aujourd’hui, en 2012, osons une mesure faite à l’oreille : les cultivateurs qui ont cinquante ans comprennent encore le patois, mais ils ne l’emploient presque plus.
Il en était autrement en 1940. Les enfants qui ne s’exprimaient qu’en français dans la classe, d’une façon plus ou moins adroite, retrouvaient leur spontanéité dans la cour, pour jouer il fallait entendre leur vocabulaire. Dans les réponses données en classe, les phrases construites pour illustrer la grammaire, ou les rédactions, s’il arrivait qu’un mot de patois se faufilât, sans orthographe certaine puisque prononcé souvent mais jamais écrit avant cette occasion, notre instituteur s’en amusait et faisait corriger.
Demeuré avec lui dans une vive affection jusqu’à sa fin au-delà de quatre-vingt-dix ans, je me suis permis d’affirmer qu’il eût été intéressant de montrer aux enfants, sur quelques termes au moins, la chaîne des mots : latin, Ancien Français et patois, puis français moderne. Audace répréhensible car la mission de l’école était de faire parler la même langue à tous les enfants du pays, quitte à écraser de mépris et sans regret le parler ancestral !
Ce patois mayennais n’étant pas ma langue maternelle, je le réservais pour des échanges très limités avec les enfants. Ma mère, venue du Mans, n’y entendait rien, pourtant je pense qu’elle aurait pu en aimer une certaine sauvagerie. Mon père, né dans un village normand pas très éloigné, comprenait au moins certains mots. Il était habitué aussi à converser dans le bourg avec les cultivateurs et les artisans, mais ceux-là, lui parlant, s’efforçaient d’employer plutôt le français de l’école. Ce qu’il appréciait surtout c’était la couleur de certaines phrases qu’il rapportait à ma mère, il les a même notées. Ainsi le jugement d’un cultivateur, connu comme original, sur le cidre qu’un autre lui avait fait tester : goulayant, drèt en goût, justificatif et qui vous fout dans les qualités de l’homme ! C’est à dire assez alcoolisé pour saouler. Ou l’expression de notre voisine à propos d’un marchand de chevaux qui trafiquait durant la guerre sous un nom d’emprunt : i s’teu faö nommeu ! Ou encore celle de la fermière voulant, au soir, faire rentrer ses lapins qui couraient dans le poulailler j’y fus à la breune mais, dame, je n’les veuyais ni d’la tête ni du cul !
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