Jean-Loup Trassard
Eschyle en Mayenne
Texte & photographies
2010. 72 p. 16,5/24.
ISBN 978.2.86853.535.1
22,00 €
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Le livre
Soudain pris du regret d’ignorer le grec, et n’ayant assisté à aucune représentation du théâtre d’Eschyle, ni sur la ruine des palais respiré l’air que juste viennent de quitter ses héros (seulement dans ma main le toucher, une fois, des pierres du Parthénon, mais combien forte, encore vivace, l’impression), cet été je reprends, ne lâche plus en traduction les sept pièces polies par 2 500 ans, presque, de lecture.
«Est-ce le sable terreux du jardin sous mes sandales ? tandis que tourné vers le soleil dans un fauteuil de bois et toile, par léger vent d’est, j’ouvre et ferme le livre, les paroles que j’y entends me paraissent, également chaussées de sandales, crissantes du sable où le pied s’imprime, de la terre que la main égrène.»
La lecture passionnée du théâtre d’Eschyle conduit l’auteur à rapprocher les images des tragiques grecs aux paysages et à la vie des fermes de la Mayenne, les cliquetis des chevaux et des charrettes d’autrefois aux bruits des batailles des héros et des dieux. Jean-Loup Trassard nous donne là un texte profond d’une beauté étrange traversé par le souffle de l’Antiquité, demeuré puissant malgré son long voyage dans le temps et l’espace.
L’auteur
Jean-Loup Trassard est né à la campagne, l'été 1933. Il publie pour la première fois dans la N.R.F. en 1960 puis, à partir de l'année suivante, plusieurs récits chez Gallimard. Outre quelques livres de proses, nous avons publié dans la série «Textes & Photographies» Territoires (1989), Images de la terre russe (1990), Ouailles (1991), Archéologie des feux (1993), Inventaire des outils à main dans une ferme (1981 & 1995), Objets de grande utilité (1995), Les derniers paysans (2000) La composition du jardin (2003), Nuisibles (2005,) Le voyageur à l'échelle (2006) ainsi que Sanzaki, (2008). Après La Déménagerie (Gallimard, 2004), il a fait paraître en 2007 à nos éditions Conversation avec le taupier.
Extrait
«Je suis Pélasgos, chef suprême de ce pays», «Nous sommes le sang de cette génisse», suivent des généalogies. «Comme j’ai fait plusieurs métiers, je connais tout le monde», me dit Pierre L. Il faut entendre «dans quelques communes alentour». Et au sujet de certaine jeune mariée, pour laquelle l’église vient de sonner : «La mère à sa mère, qu’avait pris un Méseux du Pâtis, était même la soeur au scieur de long de La Bigottière.» De Io, par Épaphos, Libye et Danaos, depuis les herbages jusqu’à cet empan de sable qui sépare les suppliantes du groupe déployé des cavaliers et du roi sur son char, se dégage, au fil de six générations, l’assurance de quelque parentèle : «Il me semble bien en effet que d’antiques liens vous rattachent à ce pays.»
Entre une possible colère de Zeus s’il ne secourt pas celles qui se placent sous protection divine et le qu’en-dira-t-on chez les Pélasges s’il risque la guerre pour ces femmes «à la tendre joue brunie au soleil du Nil» («car le peuple aime à critiquer ses chefs») le roi choisit d’aider le troupeau des vierges porteuses «de rameaux frais coupés, enveloppés de laine blanche» contre ceux qui arrivent sur des «vaisseaux à la solide et sombre carène avec leur nombreuse armée noire».
Pélasgos va convaincre le peuple. Les cinquante fils d’Égyptos («ces mâles d’une intolérable insolence qui courent sur mes pas avec des clameurs luxurieuses», dit le chœur) dépêchent un héraut qui saute dans la vase (le fond du golfe, un marécage) et celui-ci menace de traîner les cousines par les cheveux si elles ne courent pas vers l’embarcation. Déjà il porte la main sur les tuniques.
Mais Pélasgos l’arrête : «Crois-tu donc être venu dans une ville de femmes ?» À menaces de guerre, une calme fierté. Le héraut disparu s’enlise un peu sans doute sur le rivage. Préparatifs, que marmonnent donc maintenant les suivantes des Danaïdes ? Des hirondelles tendent en travers du jardin les guirlandes que trace leur vol. L’air n’est pas à l’orage malgré, là-bas, cette tension.
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