Jean-Loup Trassard
L'amitié des abeilles
Récits
2007. 96 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.482.8
15,00 €
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Le livre
Ces récits font entendre le murmure d’hommes solitaires, enfermés en eux-mêmes par l’indifférence d’autres solitudes. Blessés de n’avoir pas obtenu l’accord que leur idéal espérait, ils n’échappent au désespoir qu’en laissant se déployer leurs fantasmes. À sa façon, sourde ou véhémente, chacun clame son besoin d’amour, cherchant, pour rompre le silence des sentiments, au moins la reconnaisance d’un monde différent celui des abeilles pour Juvigné, des chevaux de labour pour Buttavent… avec envie de s’y dissoudre pour tuer la douleur.
Par innocence et sincérité se dévoilent les aspirations morales de l’auteur vers 1960 et surtout, dès ce premier livre, surgissent les thèmes qu’ensuite Jean-Loup Trassard ne quittera plus passions et obsessions pour les faire croître et ramifier dans ses livres suivants, de L’érosion intérieure (Gallimard, 1964) à Conversation avec le taupier (Le temps qu’il fait, 2007).
L’auteur
Jean-Loup Trassard est né à la campagne, l’été 1933. Il publie pour la première fois dans la N.R.F. en 1960 puis, à partir de l’année suivante, plusieurs récits chez Gallimard. De lui, nous avons publié quinze titres dans notre série «Textes & Photographies» ainsi que quelques livres de prose.
Extrait
Juvigné est un ami. Sa maison est petite, sur un peu de terre, à quelques kilomètres de la forêt.
Je vais parfois lui rendre visite. Chez lui, c’est le calme. Même mon petit garçon que je tiens par la main est silencieux. Il faut y être, quand il y a du soleil, à onze heures et demie du matin ou le soir vers six heures.
Un verger, puis un pré, un jardin et des morceaux de cours avec de l’herbe rase, un tronçon de chemin. L’endroit est plutôt sec. Juvigné est comme moi avec mes quelques hectares, un peu plus tranquille sur son bien, mais tout aussi heureux à côté. D’un point de vue affectif, il n’y a pas de bornage entre nos champs et ceux qui les entourent. Nous y sommes attachés de la même façon.
Il vit avec peu de choses. Il a des livres pour étudier, il s’occupe de ses abeilles. Je le trouve auprès de ses arbres, ou bien à l’intérieur appliqué à transvaser, à étiqueter le miel qu’il conserve dans de grands pots gris.
Parfois, Juvigné est dans la campagne, soit qu’il coure après un essaim, soit qu’il inspecte les environs pendant quelques instants pour connaître l’état des fleurs.
Je lui demande toujours de m’expliquer où sont les abeilles, que ce soit l’époque des navettes ou celle des acacias… Il y a aussi dans cette région des lierres fleuris assez importants pour être considérés. C’est le trèfle blanc qui est la matière riche, pour le meilleur miel. Mais les fermes n’en font pas beaucoup parce que la graine est chère.
En dehors des jardins et du printemps avec ses arbres fruitiers, le trèfle du foin, les fleurs blanches des épines et des sureaux, il y a le tilleul qui est essentiel quand les grandes floraisons sont passées. Et c’est à partir de ce moment-là surtout qu’il est intéressant de savoir où se trouvent les abeilles. Au milieu de l’été, il y a les graines de poireaux violettes, qui attirent sur elles, dans tous les potagers, plusieurs sortes d’insectes. Certaines années, il arrive que le temps chaud et humide fasse sourdre du miellat sur les feuilles des tilleuls et des chênes.
Les miels d’automne, qui sont plus sombres et moins délicats, doivent beaucoup au sarrasin dont les fleurs grises appellent les abeilles en août, avant que les ramiers et les tourtes viennent se poser sur les picotes.
Pendant mes visites chez Juvigné, je ne vois plus le monde de la même façon, il me semble que les fleurs, leur couleur et leur sucre seulement ont importance. Il me semble agréablement que les événements de la vie sont des floraisons qui tirent sur leur fin, d’autres qui arrivent, ou bien des pluies mal venues qui empêcheront le travail.
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