Jean-Yves Laurichesse
Un passant incertain
Roman
2017. 160 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.624.2
18,00 €
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Le livre
«Je bus une gorgée de bière glacée tout en examinant la couverture. Le titre me plaisait. Ce passant dont j’ignorais tout faisait écho à ma propre incertitude. Quant au nom de l’auteur, si aucune notion précise ne s’y accrochait encore, je souhaiterais peut-être bientôt en savoir davantage sur celui qui l’avait porté. Je cherchai dans les pages de garde si d’autres ouvrages y étaient inscrits. Je ne trouvai rien. Sans doute s’agissait-il d’un premier roman. J’en éprouvai une furtive émotion en même temps qu’une inquiétude : peut-être le livre avait-il eu si peu de succès qu’il n’avait été suivi d’aucun autre. La perspective d’un ennui probable m’accabla de nouveau et je fus près de jeter le livre dans un coin et de ne plus y penser. Pourtant je commençai à lire.»
Le livre d’un auteur demeuré inconnu, publié dans les années trente, qu’achète par hasard le narrateur de ce roman va provoquer chez lui une expérience d’écriture particulièrement troublante et produire des effets plus que surprenants sur son existence et sur celle de quelques autres. Ce qui commence comme une enquête et se poursuit par une sorte de complot, est en réalité un travail de réparation dont les protagonistes de cette histoire se chargent, au nom d’une «littérature sublime et cruelle» dont ils partagent le goût et dont ils savent bien qu’elle n’est pas différente de la vie-même.
L’auteur
Jean-Yves Laurichesse est né en 1956 à Guéret. Ses cinq précédents romans, Place Monge, Les pas de l’ombre, L’hiver en Arcadie, Les brisées et La loge de mer ont paru à nos éditions depuis 2008. Il est également professeur de littérature française à l’Université Toulouse-Jean Jaurès et auteur de plusieurs essais de critique littéraire (sur Giono, Claude Simon, entre autres).
Extrait
Le jour suivant fut à peu près vide car j’étais incapable de fixer mon attention sur quoi que ce fût d’autre que l’attente du livre. Un gros orage dont l’approche commença de se faire sentir dès le début de l’après-midi par de fortes bourrasques de vent chaud, mais qui n’éclata que dans la soirée, fit une heureuse diversion, les premières gouttes soulevant d’abord cette violente odeur de poussière mouillée qui suscite toujours en moi une excitation, dont me délivre ensuite le déchaînement des éclairs et du tonnerre. J’étais sur ma terrasse comme à l’opéra et y demeurai même lorsque la pluie s’abattit violemment. Je dormis bien cette nuit-là, à cause de l’air qui avait fraîchi. Je ne me réveillai qu’une fois, juste assez pour entendre la rumeur nocturne du fleuve et voir par la fenêtre ouverte monter la lune dans l’échancrure des nuages comme dans un golfe calme, avant de refermer les yeux.
L’interphone sonna à dix heures. J’étais levé depuis l’aube. J’avais plus que jamais une impatience d’enfant. J’attendis cependant d’être remonté pour ouvrir l’emballage de carton. Le livre jaune apparut enfin, comme naissant à nouveau, dans ses langes de papier bullé. Il était en meilleur état que le premier exemplaire, avait été manifestement découpé avec soin. Je cherchai aussitôt la page de garde. La dédicace était bien là, inscrite avec fermeté à l’encre noire, d’une écriture légèrement inclinée vers l’avant : à Jean, en mémoire de notre jeunesse perdue.
Je m’étais attendu à quelque dédicace de circonstance pour un inconnu ou une vague relation. Celle que j’avais sous les yeux était bien plus précieuse. Malgré l’absence du patronyme, je ne doutais pas qu’une coïncidence miraculeuse ne m’eût mis en possession de l’exemplaire même qu’avait reçu Jean Vedrenne. J’eus le sentiment que me parvenait de très loin une bribe du dialogue que ces deux hommes avaient noué dans leur jeunesse. Ainsi commençait à se peupler ce grand vide qui entourait le corps absent de l’auteur. D’autres signes se lèveraient sous mes pas, j’en étais certain à présent. Je n’avais plus qu’à partir. Je préparai aussitôt mon bagage que je souhaitais léger, prêt à me glisser dans le temps comme entre les pages d’un livre.
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