Adrien Le Bihan
Un procès clandestin
Roman
2022. 168 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.685.3
20,00 €
|
Le livre
«Dans mon Procès clandestin, aucun des délateurs, informateurs, espions et contre-espions qui gravitent autour de moi et de mon double ne trouve en nous des alliés. Nul geste de notre part ne leur est une invite s’ils ne s’octroient pas le privilège de l’interpréter ainsi. Lorsqu’une connivence imprévue se manifeste exceptionnellement entre nous et quelqu’un de leur monde, elle est le fruit d’une tentation étrangère aux principes qui les gouvernent.»
Ce roman, dans lequel la police secrète polonaise des années soviétiques joue un rôle majeur, est un roman vrai, vécu par l’auteur dans une sorte de longue hallucination. Agent supposé plus que réel de l’Occident, surveillé, menacé, manipulé puis piégé par l’implacable Sécurité, le narrateur fera son travail d’attaché linguistique, deviendra père puis époux, sera divorcé et légalement privé d’autorité parentale sur sa fille, traversera les remous de sa vie sentimentale sans jamais comprendre avec certitude ce qui lui arrive. Son existence lui fut, en quelque sorte, révélée des années plus tard par l’ouverture des archives policières où trois volumineux dossiers lui sont consacrés comme s’il se fût agi de celle d’un personnage de fiction.
L’auteur
Adrien Le Bihan est né à Marseille peu après l’incendie des Nouvelles Galeries (le mistral soufflait fort). Il a exercé pour les services culturels français dans sept pays différents, de l’Inde à la Pologne, de Madagascar à l’Espagne. Féru d’investigation car avide de secrets, comme en témoignent ses textes dans la revue Sigila, il a publié une douzaine de livres dont L’Arbre colérique, Retour de Lémurie, Rue André Gide, Je naviguerai vers l’autel de Joyce et, récemment, une biographie d’Isaac Babel (Perrin, 2015) ainsi que Mon frère, Jack Kerouac (Le temps qu’il fait, 2018) et Le désir de Velázquez attrapé par Picasso (id., 2020).
Extrait
Certes, Magda T. avait accepté, fût-ce à contrecœur, de répondre à mon sujet aux questions du capitaine. Mais cela s’explique par sa situation personnelle que je connaissais mal à l’époque et que les rapports m’éclairent. Son père membre d’un parti croupion toléré par le régime; sa mère en cheville avec la partie du clergé qui rendait à César quel qu’il fût ce qui lui revenait, directrice d’une organisation d’aide aux filles mères patronnée par un évêque Magda T. se sentait protégée par le système auquel les responsables qu’elle rabrouait à l’occasion devaient leur place. Ce que confirme l’avis favorable d’un inspecteur de la Sécurité de sa ville natale, consulté peu avant que je la connaisse : «Son attitude envers la Pologne populaire est positive. Sur sa famille, nous n’avons aucune réserve à formuler.» Le dossier qui m’en informe ne manque pas de souligner aussi que Magda T., après avoir appartenu à l’Union socialiste des étudiants polonais, présida dans son Institut de philologie romane le conseil dit des Jeunes travailleurs scientifiques. Ces organismes officiels donnaient aux personnes enclines à hausser le ton, qui avaient une étoffe de leader, des occasions de prendre avec assurance la parole sans être aussitôt interrompues, de clouer le bec aux contradicteurs et, dans les limites du règlement, de critiquer devant leurs collègues et même les autorités (qui ne demandaient pas mieux) ce qui fonctionnait mal.
Méfions-nous des faux amis. J’avais autrefois compris de travers pourquoi Maja qualifiait sa jeune collègue de maquisarde. J’ignorais alors que les anticommunistes tenaient partyzant et son féminin partyzantka pour péjoratifs parce que les Soviétiques et leurs émules en avaient fait, de Varsovie à Belgrade, de Prague à Sofia, un usage immodéré. M’avait abusé, dans la traduction par Maja, un terme français récent auréolé de prestige. Égaré par ce vocable, je m’étais perdu dans un maquis d’apparences. Pour comble, c’est Kowalczyk, un des flics dont je fus la proie, qui m’aide à y échapper. Adieu, maquisarde ! Farewell, ma jolie !
Au moins ne fut-elle pas recrutée comme TW (collaboratrice secrète). Si elle en avait décliné l’offre, Kowalczyk n’aurait pas manqué de pester. Le plus probable est qu’il ne le lui proposa pas. Mais la SB entretenait d’autres catégories, dont celle des «contacts opérationnels», diminutif : KO. Leur collaboration obéissait à une procédure simplifiée. Les membres du Parti, auquel leur statut interdisait d’être TW, relevaient de cette catégorie s’ils étaient aussi des mouchards. En tête du rapport de Kowalczyk du 14 juillet 1982, je relève KO tapé à la machine devant les initiales inversées de Magda T. : «KO TM». Cela signifie que pour le capitaine, elle était bel et bien (n’excluons pas que ce fût à son insu) un «contact opérationnel».
|
|