Adrien Le Bihan
Le désir de Velázquez attrapé par Picasso
Caprice
2020. 128 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.667.9
15,00 €
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Le livre
Picasso s’invita dans Les Ménines de Velázquez : ne nous privons pas de circuler dans les siennes. La tentation lui vint de soulever la robe de l’infante : épions les frémissements et les repentirs de son pinceau.
Voici des ateliers, des chevalets, des colombes, des méandres de dictionnaires et de villes (Marseille, Barcelone), des créatures sur des seuils, des fentes triomphantes, des pères dont les âmes ne sont pas trahies par leurs images.
En ce décor s’ébauche, filiale, narquoise, une Autobiographie au portrait dont on n’en finirait pas de louer les vertus : érudition jubilatoire, plaisir constant et constamment relancé de la preuve par l’étymologie, étonnante capacité de donner à voir, écriture impeccablement classique et secrètement iconoclaste…
L’auteur
Adrien Le Bihan est né à Marseille peu après l’incendie des Nouvelles Galeries (le mistral soufflait fort). Il a exercé pour les services culturels français dans sept pays différents, de l’Inde à la Pologne, de Madagascar à l’Espagne. Féru d’investigation car avide de secrets, comme en témoignent ses textes dans la revue Sigila, il a publié une douzaine de livres dont L’Arbre colérique, Retour de Lémurie, Rue André Gide, Je naviguerai vers l’autel de Joyce et, récemment, une biographie d’Isaac Babel (Perrin, 2015) ainsi que Mon frère, Jack Kerouac (Le temps qu’il fait, 2018)
Extrait
À l’inverse de Titien et de Rubens, Velázquez n’avait pas coutume de déshabiller ni de suggérer des seins. Ses reines, princesses et ménines sont dépourvues de poitrine ou trop corsetées pour en laisser supposer une. De ce point de vue, la reine Marianne est une sœur aînée, à peine plus développée, de Marie-Thérèse et de Marguerite. La femme occupée à frire des œufs a le torse discret. De la dame à l’éventail, à peine si l’on voit l’échancrure du corsage. Le miroir de la Vénus déjoue notre envie de reluquer, par-dessus son épaule, les petits reliefs jumeaux. Les seules poitrines entièrement exposées, chez Velázquez, appartiennent au dieu et à un buveur du Triomphe de Bacchus ainsi qu’à Vulcain, sec et musclé, dans sa forge.
Quelle profusion de seins, au contraire, chez Picasso, de toutes formes et consistances : pléthoriques, taris, en sphères, en prismes, en cibles pour fléchettes, en ovales tombants, en tétines caoutchoutées, en cercles concentriques imitant les courbes de niveau d’un pic montagneux sur une carte au 1/50.000e. Ceux de son Enlèvement des Sabines, né d’un Poussin corrigé par David, érigent leurs tumulus en telle abondance que malgré le tumulte, les cris des femmes, les hennissements des chevaux comme dans Guernica, on entendrait la musique des sphères. Et ne parlons pas des mounines : oursins, araignées, roues dentées, bouches vermeilles, mille-pattes, chenilles, points d’exclamation.
Mais dans ses Ménines, point de seins, encore moins d’entrejambe. De nudité, aucune. Pas l’ombre d’une copulation. Sur les cinquante-huit toiles de la série, aucune fillette ne joue de la zambomba, ne sort sa pine pour uriner dans le bouillon. Aucune infante ne relève sa robe, ne découvre sa mounine. Nulle part Marguerite ne subit ni n’administre l’outrage.
Don Philippe IV Diego José Velázquez de Picasso Campeador se concentre sur son minois, qu’il rabote et modèle d’une façon digne de cette complexe signature.
De son père, il avait appris à couper les pattes d’un pigeon mort et à les clouer avec des épingles sur une planche. Son œil se réjouit aussi de l’animal vivant, immobile au soleil.
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