Pascal Commère
Ainsi parle le mur
Roman
2022. 216 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.681.5
21,00 €
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Le livre
Attendant comme presque chaque jour celui qui est devenu pour lui une sorte de grand frère à la mort de son père, le narrateur, un enfant pour qui les mots sont un recours contre sa solitude, se confie au pan de mur contre lequel il prend appui. C’est alors que chacune des pierres qu’il effleure de la main lui raconte une histoire, puis une autre, une autre encore… Toutes ayant trait à des personnages dont l’ombre un instant, s’attardant sur le mur, laisse derrière elle un pan de vie, réel ou fantasmé, ainsi qu’en véhiculent les histoires ou les contes. Autant de facettes qui s’entremêlent, autant de voix dont la polyphonie, qui ne manque pas de poésie, instaure un univers, celui d’une enfance à la campagne en un temps, pas si lointain, où les villages n’abritaient pas que des néo-ruraux. Toutes choses que l’enfant, devenu adulte et habitant en ville désormais, aurait oubliées, si la nouvelle de l’accident tragique arrivé à Yan, le grand frère, ne l’avait brutalement confronté à un autre mur celui d’un couloir d’hôpital cette fois , en même temps qu’à une autre attente, au cours de laquelle il revoit, mosaïque aux couleurs tantôt vives tantôt blessées, ce qu’a été pour lui, instant après instant, cette étrange amitié dont seule une langue qui s’approche au plus près des mots peut rendre compte.
L’auteur
Pascal Commère, né en 1951, travaille en Bourgogne. Il vit à la campagne et publie depuis 1978. Bourse Del Duca pour son premier roman (Chevaux, Denoël, 1987) et Prix de poésie Guy Levis Mano 1990. Deux de ses livres de poèmes, Les commis et Graminées (2007) ont paru à nos éditions, auxquelles il avait précédemment donné deux livres de «salutations» : La grand’ soif d’André Frénaud, 2001, D’un pays pâle et sombre, 2004, et quatre recueils de récits : Solitude des plantes, 1996, Le grand tournant, 1998, Le vélo de saint Paul, 2005, Les larmes de Spinoza, 2009, Noël hiver, 2010 et Lieuse, 2016. Une importante anthologie personnelle de sa poésie a paru en 2012 en coédition avec Obsidiane : Des laines qui éclairent (1978-2009).
Extrait
Mon père est mort aujourd’hui. Non, ce n’est pas vrai. Mon père n’est pas mort aujourd’hui, mais j’aurai bientôt l’âge qu’il avait quand il est tombé il y a presque trente ans. Pourtant je ne veux pas parler de mon père, ni de mon frère, mais de toi, Yan, qui étais un peu les deux à la fois. Tu étais mon père et mon frère, tu étais l’un et l’autre, et, plus âgé que moi, tu te rasais tous les jours depuis longtemps déjà. C’est plutôt par des détails comme ça que tu étais plus âgé, car dans la vie tu étais comme moi. Je me demande même si tu ne riais pas plus fort parfois… Tu étais comme moi, mais pas tout à fait quand même et une année, je me souviens, tu eus exactement le double de mon âge. Je n’invente pas : l’année de mes dix-sept ans, tu fêtas tes trente-quatre. Cela n’arriva qu’une seule fois.
C’est peut-être aussi parce que je t’attendais que tu es venu. Car tu ne m’as pas vu d’abord, tu as vu le mur. Tu es comme ça, Yan, tu ne fais pas attention aux murs et Dieu sait si tu les connais les murs, mais ça faisait une petite ombre sur les pierres et tu as vu l’ombre. «Qu’est-ce que tu fais là ?» tu as demandé. Ou plutôt tu n’as rien dit cette fois, tu as regardé l’ombre, et l’ombre lentement a bougé sur le mur. Tu aurais pu t’approcher, dire quelque chose, non, tu as regardé encore, longtemps, et parfois ton regard passait plus haut que le mur et s’en allait là-bas. Mais moi, je ne vois pas là-bas.
Jamais je n’ai suivi mon père, ni mon frère, je ne suivais personne, jamais. Mais toi, je te suivis partout où tu allais. Et même où tu n’allais pas. En me voyant, tu arrivais… «Qu’est-ce que tu fais là ?», tu as répété. L’ombre a bougé une nouvelle fois et tu m’as vu, de face sur le mur. Moi je ne faisais rien, et je n’ai pas répondu, je t’ai regardé, parce que tes yeux sont comme des pierres qui tirent le regard. Et je sais que dans le monde il y a des pierres froides, il y a des pierres chaudes, et tes yeux sont comme celles-ci, et ces pierres je les ai touchées. Mais je ne sais plus si c’est cette fois que je t’ai rencontré, ou bien une autre… Avec les pierres on ne sait pas quand on les touche.
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