Jean-Pierre Otte
Présence au monde
plaisir d’exister
Chroniques
2022. 272 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.680.8
25,00 €
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Le livre
«Je ne conçois de littérature que métamorphosante. Une littérature qui soit tout le contraire d’une complaisance ombilicale, d’un désir niais d’être admiré, d’un prestige égocentré dans un jardin de phantasmes. Par sa substance et ses signes ravissants, une littérature qui approfondisse notre présence au monde réel et établisse une atmosphère capable d’éveiller nos sens et de convier l’esprit à plus de sagacité. Toute vraie littérature passe par la personne et parvient à une espèce d’impersonnalité propre à chacun. Elle respire et inspire, elle professe la confiance, elle rétablit l’éternelle loi de réflexion, et, à notre doute et notre désarroi, nous fait comprendre que les moyens de métamorphose sont toujours en nous.»
Chroniques publiées au fil du temps dans des journaux et revues, ou lues à la radio, chacun de ces textes est le condensé de la philosophie de vie d’un poète, fort peu théoricien mais très attaché à son inscription parmi les choses de la nature. Capable comme personne de rafraîchir d’une formulation toujours nouvelle des sensations et des idées retrouvées, prompt à partager une vitalité jamais entamée par la routine, il distribue généreusement convictions et enchantements, et nous entraîne dans sa quête du merveilleux. Sans jamais le céder au simplisme, à la naïveté ou à la convention.
L’auteur
Jean-Pierre Otte est né dans les Ardennes belges en 1949. Avide de savoir, il étudie en auditeur libre la biologie, la physique, la philosophie et les mythologies du monde. Depuis 1984 il réside sur un causse du Lot, entouré d’animaux familiers. Épicurien, passionné par le vivant, il aime la marche et le vin. Vivant depuis ses débuts (1976) de sa plume et de sa voix, il est également chroniqueur dans les journaux, conteur à la radio et en spectacle, conférencier et peintre.
Jean-Pierre Otte est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages consacrés aux rites amoureux des animaux (L’amour en eaux dormantes, La Sexualité d’un plateau de fruits de mer…), sur les mythes cosmogoniques du monde (Les aubes enchantées, Les Naissances de la femme…) mais aussi de récits plus personnels ou intimes célébrant le «plaisir d’exister» (Le ravissement, Petite tribu de femmes, Un cercle de lecteurs autour d’une poêlée de châtaignes, Le labyrinthe des désirs retrouvés…). Ses livres sont principalement publiés aux éditions Robert Laffont, Seghers, Julliard…
Extrait
Le long rêve du réveillon
Par une espèce d’éclipse fantasmagorique et une folie de tout illuminer de mille feux factices des scintillements de verres et d’argenteries, des cotillons, des ampoules de couleurs, des serpentins déroulant leur développement hasardeux et sinueux , nous passons d’une année à l’autre.
C’est la même et l’autre année. C’est une cycle nouveau qui s’amorce et va se dérouler selon des préceptes anciens. Dans le temps de vie qui nous est imparti, il y a l’instant d’un reniement et d’un renouveau, ces nuits noires, ténébreuses, tourmentées pleins de neige et serties de givre mystérieux que sont les nuits autour du Nouvel-An.
Écoutez Chappaz dans l’un de ses livres les plus magnifiques : «Afin que misère et paradis coïncident, sans que l’on puisse les séparer, afin de répondre à deux nécessités de survie, c’est le grand jeu de l’échange : des services, des cadeaux, des fêtes, qui doivent installer en nous la durée sans faille.»
Notre monde, selon les croyances, tourne entre un paradis perdu et un âge de promesse, entre un commencement parfait et un futur recommencement parfait, terme bienheureux d’une catastrophe constamment appréhendée. Et notre corps cherche à empoigner d’autres corps entre la sortie de la matrice et le retour à la terre maternelle. Je répète : éternité périssable. Raccrochons-nous à ce pivot, le Nouvel-An. On inaugure un nouveau cycle temporel et il y a un renouvellement du monde. D’abord, la terre même avec sa fécondité cachée appareille furtivement dans la profondeur. Dire l’origine, c’est se guérir de la mort, c’est traverser à l’avance l’apocalypse prévue. D’ailleurs, par sa propre durée, le monde dégénère et s’épuise, il doit être recréé chaque année.
Voilà bien ce dont il s’agit : recréer le monde au sein de ces nuits noires comme la chair des mûres ! Reconstituer, reconstruire, régénérer, reprendre haleine, reprendre gestes, reprendre regards et battements de cœur, en étant de fond en comble renouvelé dans tout son être.
Ce qui m’affole, je ne le cache pas, c’est le peu de pouvoir régénérateur de nos actuelles mythologies de Nouvel-An. Elles semblent extérieures à nous-mêmes, peu compromettantes, peu impliquantes, et par conséquent, sans grand pouvoir de renouvellement de fond en comble.
Ce qui ne fait l’ombre d’aucun doute, c’est que je sois traditionaliste, c’est-à-dire, si l’on se réfère à l’idée fertile que Paul Valéry investit dans ce terme : non point un être possédé par l’aveugle besoin de réitérer des gestes archaïques et d’effectuer un prompt retour en arrière vers une sorte de paradis paysan (qui n’en était pas un), mais un être animé du désir ardent de capter la ferveur, l’élan créateur de toute origine, et de retrouver la danse de l’âme, l’esprit perspicace et passionné en quête d’une loi d’harmonie par-delà nos désirs et nos désarrois.
Aujourd’hui, au travers des cotillons, des confettis, des cartes de vœux, des beuveries, des banquets et des excès mimétiques, je ne sens nulle part cet esprit fervent qui palpite et s’amplifie au fil des âges. Il me semble que c’est seulement avec une fougue sacrée ( qui n’a rien à voir avec nos croyances ou nos incroyances) que nous pourrons régénérer le monde et le moi confondus dans le même miroir au profond de nos aspirations, jusqu’à revivre cet instant qui nous ramène à l’origine, rattrape la vie par des mots, des récits, des fables, des mythes qui nous font communiquer à l’inexplicable. Nous nous sommes connus visibles et invisibles, perpétuels par le souffle même qui nous anime, identiques au Grand Souffle qui n’a ni commencement ni fin.
Il reste une objurgation et une offrande. Celle d’aller, le matin du premier jour de l’année dans un verger en quête de gui. On l’aperçoit dans les branches noueuses comme une brassée d’algues très vertes élastiques, avec une giclée de raisins minuscules et laiteux. Notre souffle fume au contact de l’air glacé. C’est comme si on n’était pas encore né. On existe à peine et tout notre être semble évanescent. C’est l’instant d’un rapt et d’un ravissement.
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