Denis Montebello
Comment écrire un livre qui fait du bien ?
Récit
2018. 128 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.636.5
15,00 €
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Le livre
«Dans les sélections qu’on vous propose, de livres à l’effet feel-good garanti (pour vous évader, vous aérer l’esprit sans sortir de chez vous !), des livres qui vous permettent, mieux que n’importe quelle route de Compostelle, d’aller à la rencontre des autres et de vous-même, de découvrir ce qui constitue la vie, ce bonheur fait de petits instants, vous trouvez, ce n’est pas un hasard, de nombreux titres à rallonge.»
Dans cette époque charmante où l’empathie le dispute à la bienveillance, la littérature elle-même se croit des pouvoirs thérapeutiques et les littérateurs se donnent pour mission de consoler, voire de réparer. Ainsi le feel-good book est-il en passe de devenir le plus désirable et le plus prometteur des projets pour l’écrivain d’aujourd’hui à moins que s’impose pour son ouvrage un titre du genre : C’est le deuxième copain qui se pend à un arbre que j’ai élagué…
L’auteur
Né en 1951 à Épinal, Denis Montebello vit à La Rochelle. Il est l’auteur d’une quinzaine de livres parus pour la plupart chez Fayard, aux éditions en ligne publie.net et au Temps qu’il fait (Bleu cerise, 1995; Fouaces et autres viandes célestes, 2004; Couteau suisse, 2005; Le diable, l’assaisonnement, 2007; Tous les deux comme trois frères, 2012; Aller au menu, 2015; La maison de la Gaieté, 2017). Auteur de récits et de romans, il procède en archéologue du présent. Mais le poète qu’il est cherche aussi la preuve par l’étymologie.
Extrait
Dropping names is a bore
L’abus de noms nuit gravement. À la qualité de votre roman. Au confort : le lecteur n’aime pas être dérangé dans sa lecture. Par des noms qu’il doit aller chercher dans le dictionnaire, dans le Quid, et qui lui donnent l’impression de participer à un quiz. Ou à un jeu pour retraités occupés à se muscler le cerveau. Obsédés par Alzheimer. Il n’aime pas ce qui gêne, ce qui ralentit, ce qui interrompt sa lecture et le renvoie à son ignorance. Comme en amour on aime qui nous aime, le lecteur a une prédilection pour les livres qui lui font du bien. Qui lui donnent le sentiment qu’il est intelligent, le seul capable de comprendre le message, de saisir la poésie du texte. En revanche il déteste ces auteurs qui le voient, quand ils daignent le regarder (quand le lecteur est aussi libraire !), comme un raccommodeur de porcelaine ou un marchand de peaux de lapins. Ceux-là, il ne vendra pas leurs livres, il ne les achètera pas, ne les empruntera pas, puissent-ils disparaître au prochain désherbage.
Cela dit, tout est question de dosage. Ce qui horripile dans un livre de Jean-Jacques Schuhl ou de Simon Liberati, parce que vous n’y étiez pas dans ces années-là et que vous n’y serez jamais, parce que vous n’avez pas connu Untel et que cela vous exclut, vous chasse définitivement du Palace qui est l’autre nom du paradis, son nom propre, cela peut plaire dans une chanson de Vincent Delerm. Quelques noms à picorer et deux ou trois mojitos, cela passe même très bien.
Dans les feel-good books, c’est pareil, on a ici une armoire Ikéa, là une Marilyn, un Elvis, un prince William (tout ça dans le même livre d’ailleurs), et c’est à peu près tout.
J’ai donc dosé. Afin de réussir mon roman qui fait du bien. Vous trouverez par conséquent des noms propres, mais pas trop. À ce stade de l’enquête j’ai mis, vous pouvez vérifier, un Gourgues et une voix anonyme. Équilibre parfait. Et si la balance penche d’un côté, avec Loti, Odin et les Eddas, vous verrez que je roule toujours en voiture et non en Fiat rouge ou en Ferrari, que je mange du lapin et non du Rex du Poitou, et que j’attends un écrivain sur le parking de la gare (seul le lecteur curieux connaîtra son nom, les autres se contenteront du titre de son best-seller), afin de le présenter dans une librairie.
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