Jean-Pierre Ferrini
Le grand poème
de l’Iran
Voyage en Orient
2016. 184 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.616.7
20,00 €
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Le livre
Le grand poème de l’Iran porte sur l’Iran en général et la poésie persane en particulier. Il s’agit d’une sorte de voyage en Orient, d’une quête initiatique et amoureuse dans les mystères de l’Orient. Le narrateur sillonne l’Iran en lisant les poètes les plus importants de l’âge d’or de la littérature persane : Ferdowsi, Khayyam, Nizami, Attar, Roumi, Saadi ou Hafez (Xe-XIVe siècles). La lecture et le voyage, en alternant, rythment, créent la dynamique du livre, font résonner le passé dans le présent et éclairent l’actualité paradoxale de l’Iran, le hiatus qui sépare l’antique sagesse de la Perse d’hier de la modernité iranienne d’aujourd’hui. En voyageant avec le narrateur, on découvre que le territoire qu’il explore de Gandja (Azerbaïdjan) à Samarcande (Ousbékistan) en passant par Téhéran, Nichapour et Shiraz correspond à une géopoétique qui composait jadis le grand poème de l’Iran.
L’auteur
Jean-Pierre Ferrini est né le 23 mai 1963 à Besançon. En 2003, il publie aux éditions Hermann son premier livre, Dante et Beckett. Dans le même temps paraît chez Monologue éditeur un recueil de poésie, ... ses difficultés infinies. Avec Bonjour monsieur Courbet (Gallimard, coll. L’un et l’autre, 2007) et Le pays de Pavese (Id., 2009), il a tenté d’adopter la forme de l’autoportrait pour explorer les lieux de son enfance et de sa généalogie. Tout en poursuivant un travail critique (sur Dante, la littérature italienne ou sur Beckett), ce versant de sa recherche le conduit de plus en plus vers les bords d’une écriture fictionnelle qu’il interroge notamment dans L’Expérience singulière de la lecture (HEAD, 2007) ou dans un bref «roman», Un voyage en Italie (Arléa, 2013).
Extraits
Chîrîn au bain
Longtemps je n’ai pas su déchiffrer avec exactitude un des thèmes les plus communs de la miniature persane : les innombrables «Chîrîn au bain». La version par laquelle j’ai découvert cette image est un petit tableau sur bois d’environ quinze par vingt-cinq centimètres que j’ai pu identifier en tombant un jour sur une carte postale qui ne m’aura jamais quitté durant tout mon voyage (je l’utilisais comme marque page et elle me tenait compagnie dans les chambres d’hôtel où je dormais). La légende indique Khamsa of Nizami, Khusrau sees Shirin bathing, en précisant que l’original de cette copie qui date de 1539-1543 est à la British Library, avec pour cote Persian MS Or. 2265, f. 53 b.
Une jeune femme prend un bain dans une rivière. Ses vêtements sont suspendus aux branches d’un arbuste en fleurs; sur la droite, son cheval dans une prairie se détourne pour fixer, plus haut dans l’image, un cavalier surgissant derrière des rochers qui contemple la jeune femme sans être vu. On songe à Diane et à Suzanne dont les récits mythologique ou biblique dans la peinture occidentale servirent de prétexte pour figurer le nu féminin. Mais les voies suivies sont différentes. La genèse n’est pas la même. Nous devons chercher d’autres catégories, esthétiques ou morales. Le cavalier pour son impudeur ne sera pas métamorphosé en chien comme Actéon ni puni par le prophète Daniel. Plutôt qu’une nymphe, Chîrîn serait une des réincarnations d’Anahita, la déesse de l’Iran, gardienne de toutes les eaux, des sources et de la fécondité.
L’un et l’autre (le cavalier dans les rochers et la jeune femme dans la rivière) flottent dans l’espace procurant non pas un effet de profondeur mais d’apesanteur au milieu de la végétation, des rochers, de la rivière et des «feuilles d’or» dans le ciel qui les enveloppent. La perspective est à peine esquissée par les superpositions du paysage. L’échelle est disproportionnée. Le proche et le lointain, le haut et le bas, le dedans et le dehors se confondent. La lumière ne reflète aucune ombre et les couleurs semblent «transsubstantiées» en une couleur immatérielle.
Une miniature persane ces corps, ces visages dialoguant dans un paysage édénique, un jardin ou de mathématiques constructions architecturales n’est pas qu’un tableau; elle n’a pas été conçue pour être accrochée aux murs d’une église, d’un palais, d’un musée, d’un appartement; elle était dissimulée, enchâssée, enluminée dans un livre, d’où peut-être son format miniature. Bien qu’indépendante, elle est une calligraphie indissociable de l’histoire qu’elle raconte, s’écrivant dans un entre-deux, un espace intermédiaire entre la fable et l’ineffable. Tant que je n’avais pas compris cette relation, la scène de «Chîrîn au bain» demeurait muette (je ne savais pourquoi le cavalier apparaissait dans l’image) et il m’a fallu attendre de lire la traduction d’Henri Massé du «roman» de Nizami, Khosrow et Chîrîn (ou Chosroès et Chîrîn) pour commencer véritablement mon voyage.
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