Jacques Chauviré
Fils et mère
Récit
2014. 128 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.591.7
16,00 €
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Le livre
Ce texte est la longue lettre d’adieu d’un homme parvenu aux portes de la vieillesse à sa mère disparue près d’un demi-siècle plus tôt. Veuve de guerre «blessée pour la vie», elle a donné à son fils le prénom de son cher époux («Quels liens singuliers s’étaient noués entre nous après la mort du père !»). Bourgeoise éduquée et bienveillante, elle élève ses enfants avec dévouement, entre le jardin merveilleux de la grande maison à la campagne et le triste appartement lyonnais et voue un amour viscéral, excessif, étouffant à celui-là, la chair de sa chair, qui pourtant, aux pires moments de jalousie même, ne lui en tient nullement rancune. Car il n’a pas cessé de croire, depuis la petite enfance jusqu’à la mort de cette figure vénérée aux premiers jours de la seconde guerre, qu’il est un «double minuscule de sa personne».
Ce portrait plein de tendresse filiale, cet hommage délicat renoue avec des motifs chers à l’auteur de La terre et la guerre, des Mouettes sur la Saône et surtout d’Élisa. Récit intime d’une vie sans éclat, il est également un témoignage ému sur un milieu et une époque à jamais disparus.
L’auteur
Jacques Chauviré est né en 1915 près de Lyon où il a fait ses études. Il a été médecin généraliste pendant quarante ans à Neuville-sur-Saône où il est mort en 2005. En littérature, il fut l’ami de Jean Reverzy (qui avait été son condisciple), de Claude Roy et d’Albert Camus (qui fit publier en 1958 son premier livre, Partage de la soif réédité en 2000 par Le Dilettante.
Auteur de cinq autres romans publiés initialement par Gallimard : Les passants (réédité en 2001 par Le Dilettante), La terre et la guerre (réédité par Le temps qu'il fait en 2008), La confession d’hiver (réédité par Le temps qu’il fait en 2007), Passage des émigrants (réédité en 2003 par Le Dilettante), Les mouettes sur la Saône (réédité en 2004 par Le temps qu’il fait), et de deux recueils de nouvelles: Rurales (avec des illustrations de Jacques Truphémus, Maison du Livre de Pérouges, 1983) et Fins de journées (Le Dilettante, 1990). Ses autres livres (Élisa, 2003, Journal d’un médecin de campagne, 2004, Massacre en septembre, 2006, ainsi que ce Fils et mère), publiés par nos éditions, étaient inédits.
Extrait
J’aimerais te poser une question à propos de ta rencontre éventuelle avec Élisa et du séjour dans l’au-delà. Tu me répondras peut-être qu’il n’est pas convenable de t’interroger sur ce point, que tu es tenue au secret et que si tu pouvais me renseigner, il n’y aurait plus de jeu, plus de pari.
Comme je t’ai beaucoup aimée et que mon sentiment persiste, je me demande si je vais te retrouver. Il n’est pas douteux que tu es au paradis. J’aimerais savoir à quoi ressemble ce jardin et comment se passe le temps dans la vie éternelle ?
Ne me réponds pas que le temps n’existe pas. J’aime trop le temps qu’il fait et le temps qui passe pour pouvoir croire au paradis sans lui.
Je voudrais voir et écouter passer le temps dans l’éternité. On s’y promène parmi les arbres dans des prairies émaillées de fleurs aux couleurs imprévues ? On y retrouve l’alternance des saisons comme dans les Très riches heures du Duc de Berry ? Les harmonies célestes rappellent la musique de Händel, de Mozart ou de Ravel ? Les couleurs sont-elles assez semblables à celles de la nature terrestre ou à celle des tableaux de Watteau, de Velasquez ou de Manet ? On y voit des fifres en pantalon rouge et veste bleue ?
L’éternité et le paradis offrent des magnificences comparables à celle de la terre, les béatitudes du regard, de l’ouïe, de l’odorat ? Je passe sur le toucher.
On y rencontre les êtres que l’on a aimés ?
J’insiste.
Sinon, si les jouissances sont seulement jubilation intérieure et spirituelle liées à l’adoration de l’Esprit, j’aurais beaucoup de mal à m’habituer.
S’il le fallait, je préfèrerais pourtant la contemplation aux tourments de l’enfer : brûlures, supplice du pal, souffrances morales telles que celles que l’on a rencontrées sur la terre.
Ma mère, le paradis sans tes formes, ton visage, ta voix, ta boiterie, serait-ce le paradis ?
Je me suis demandé souvent si tu avais jamais cru en Dieu ? Je pense que oui. Mais tu avais des comptes à régler avec lui et tu n’étais pas persuadée qu’il fût bon ?
Tu ne lui pardonnais pas de t’avoir pris ton mari. Et je t’ai souvent entendue dire lorsque Tiennot ou moi étions malade : «S’il me prenait l’un de vous, je le maudirais.»
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