Benjamin Fondane
Paysages
Poèmes
traduits du roumain par
Odile Serre
Avant-propos par Monique Jutrin
Préface par Mircea Martin
2019. 104 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.589.4
14,00 €
|
Le livre
Les poèmes de ce volume ont été écrits entre 1917 et 1923 date du départ de Fundoianu pour la France, à l’âge de 24 ans et publiés de 1920 à 1930 dans différentes revues roumaines. C’est donc de Paris que le poète compose son recueil, en effectuant un choix parmi de nombreux textes. On trouve dans Poèmes d’autrefois (Le temps qu’il fait, 2010) un certain nombre de «paysages» d’inspiration similaire.
Cette poésie n’est traditionnelle qu’en apparence; les paysages, où la nature semble toute-puissante, sont minés de l’intérieur par une mélancolie, un désenchantement qui ne s’affirmeront pleinement que plus tard, dans les œuvres à venir. Dans la singulière introduction que Fondane donne en 1929 au recueil de Fundoianu, le poète explique : «En ce temps-là, j’étais nu et ne me savais pas nu»; la poésie a révélé son impuissance à concurrencer le monde réel, ses laideurs et ses turpitudes. Mais il poursuit cependant : «La poésie n’est pas une fonction sociale mais une force obscure qui précède l’homme et qui le suit.»
Dans les vers de Fundoianu, que le Fondane de 1929 semble renier, percent les accents si justes et profondément humains du Mal des fantômes.
L’auteur
Benjamin Fundoianu est né en 1898, en Moldavie (Roumanie). En 1923, il s’établit à Paris, où il deviendra Benjamin Fondane, poète, essayiste et philosophe, disciple du penseur russe Léon Chestov, «non pas tant fidèle qu’inspiré», comme le disait son ami Cioran. Il meurt à Auschwitz en 1944.
Parmi ses œuvres, citons Le Mal des fantômes (Verdier poche), Rimbaud le voyou (Non Lieu), Baudelaire et l’expérience du gouffre (Complexe), La Conscience malheureuse et Faux Traité d’esthétique (Paris-Méditerranée).
Avec cet unique recueil de poèmes, publié en 1930 à Bucarest, Benjamin Fundoianu est devenu un classique des lettres roumaines.
Extrait
DISCOURS
à Ilarie Voronca
Ruche de puissance ! Je veux
ramasser en mes membres
tout ce qu’en toi ont placé
les antennes du soleil.
Tristesse d’équinoxe !
Réveille-toi et alerte
envoie-la au tapis
d’un direct au menton.
Mélancolie, flûtes !
Je voudrais une chanson, je
voudrais comme un argonaute
un chemin pour d’autres pas.
Les pieds couverts de sel
et les coudes dans le vide,
le rein rongé par la mer
et l’œil infini,
approche et prends-moi par le cou,
violon, danseuse,
la cruche de terre,
emplissons-la de fraîcheur.
Et te voilà au même pas
que le vide et les planètes,
dans le sang laissé
par le commencement de la vie,
à cheval sur l’informe,
jaillissement parfait
aux monstres sommeillant
dans la chair virtuelle,
et des siècles se déchirent,
comme les boutons des étoffes,
du corps illimité
du désastre premier.
Comme un vampire, outre mesure
tu épuises ma chair, pensée !
L’araignée déliée
a tissé une rose
de fil, pour les mouches.
Prodigieux maçon !
Tu conduis les formes trop soudaines
à la mort du calvaire,
et dans cet être voûté
que tu fais couler en moi,
tu tailles des statues
pour une ville à venir.
1923
|
|