Paul Louis Rossi
Les ardoises du ciel
Dessins de François Dilasser
2008. 224 p. 16/21,5.
ISBN 978.2.86853.487.3
26,00 €
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Le livre
Le livre des Ardoises du Ciel va se dessiner en contrepoint de celui des Inscapes, publié en octobre 1994. Avec François Dilasser, nous avions eu l’idée, les années suivantes, de poursuivre notre exploration, d’en continuer l’histoire, l’analyse et l’illustration. On trouvera donc dans ce nouvel ouvrage la trace de nos méditations, des citations du Duns Scot et Gerard Manley Hopkins, une découverte de l’Abbatiale carolingienne de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu, un séjour au Pays de la Magie avec Henri Michaux. Il faudrait y ajouter nos Voyages imaginaires chez les Indiens Hopis et les Esquimos. Et cette relation de notre visite avec François et Antoinette des Carpaccio de la scuola di San Giorgio à Venise. Comme celle de la chapelle des Scrovegni, pour les fresques de Giotto, à Pàdova. Je puis ajouter que cette exposition à deux voix de nos travaux est donnée aujourd’hui en souvenir des schistes bleus au seuil de la rue des Douves, à Lesneven, et du vent qui souffle dans l’anse de Goulven. P.L.R.
Les auteurs
Paul Louis Rossi est né à Nantes (Loire-Atlantique). Ascendances bretonne et italienne. Il a publié des essais, des récits, ainsi que des romans. Mais il s’est imposé par son œuvre poétique comme l’un des auteurs marquants de sa génération. Il a obtenu pour Faïences (Flammarion, 1995) le prix Mallarmé. Il a donné à nos éditions Inscapes (en collaboration avec le peintre François Dilasser, 1994), Élévation enclume (Avec des dessins de Gaston Planet, 1997), Les nuits de Romainville (1998), La voyageuse immortelle (2001) et Feuillées (avec Titus-Carmel, 2002).
François Dilasser est né en 1926 à Lesneven, où il a vécu et travaillé jusqu’à sa mort, en 2012. Ayant peint depuis l’adolescence sans avoir suivi les filières de formation classiques, il se consacra entièrement à sa vocation à partir de 1966. Outre plusieurs catalogues d’expositions, son œuvre exposée régulièrement depuis 1970 a fait l’objet de deux monographies (Dilasser, texte de Jean-Marc Huitorel, La Différence, 1990 et François Dilasser, texte de René Le Bihan, éditions Palantines, 1997).
Extrait
Il existe un personnage fragile, habitant au nord d’une péninsule, dans un paysage remarquable d’âpreté, mystérieux et continuellement balayé par le vent. Ce personnage silencieux, il faut en convenir, possède une apparence, un corps physique, une parole rare et minutieuse. Je suis certain, de surcroît, qu’il est doué de qualités surprenantes.
Le don d’ubiquité par exemple lui permettant de se trouver dans plusieurs lieux à la fois. Celui de se mouvoir dans l’espace alors qu’il paraît immobile devant nos yeux. Celui enfin d’établir à notre insu la comptabilité des éléments, le sol, l’eau, l’épaisseur de l’air, la nature du vent de mer. Dans cette cosmogonie de fin des terres, le vent a beaucoup d’importance, il mène une vie hirsute et comme échevelée, tournant comme un malheureux fou dans le creux du rivage, au fond d’une baie que l’on nomme justement l’anse de Goulven.
Le vent est surprenant, en quelques heures il peut changer son humeur, entraînant le voyageur dans ses transports comme un brigand, ouvrant une grande pèlerine d’air mouillé et de pluies. Le vent peut le conduire ce voyageur en des lieux inattendus, le prenant par la main pour lui ouvrir des demeures inquiètes, pour lui indiquer la forme exacte de sa déraison.
En regard de la folie du vent, dans ces parages, la mer paraît égale à elle-même bien que toujours pressée de petites vagues qui désirent atteindre le fond de la baie. Si le voyageur approche du rivage par des chemins étroits la sensation lui vient bientôt que l’eau va déborder jusque sur les routes et les ruelles du village, envahir les terres si basses et les marais autrefois qui devaient lui appartenir.
La voici étendue des eaux la mer, toute ridée, toute miroitante de bleus gris, de verts pistache et de sombres violets. La mer, il est étrange de la découvrir presqu’au-dessus des terres, désireuse de parvenir jusque dans les recoins du sable et des roseaux, du repaire des salicornes et des cristes marines afin de les inonder, infiltrer, imbiber, surprendre de son écume et de son goût sauvage d’algues et de sel.
L’eau d’ailleurs n’est pas menaçante, ni agressive, ni même turbulente. La mer est dans son dessein de revenir seulement plusieurs fois par jour dans la baie de Goulven pour l’enlacer, la lécher, la caresser, la baiser sur la bouche, investir son alentour et même sa bourgade avec son clocher son église son enclos, et sans effort entièrement l’engloutir dans son humide déglutition.
Elle a prétention surtout de nourrir le schorre, portion de la terre de la boue et du sable qui lui appartient, qu’elle abreuve et peuple des colonies d’obiones et de puccinellia. Cette conduite innocente ne peut nous surprendre. Mais le voyageur, allant vers l’Ouest, doit comprendre que la conduite du vent et des flots peut encore changer maintes fois dans ce paysage tourmenté.
C’est ainsi vers Kerlouan et Noveden que le Pays s’ensauvage soudain, avec d’énormes blocs de granit dispersés dans les champs et les cultures, des landes épineuses, des maisons adossées aux rocs, des barques abandonnées loin du rivage.
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