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Gérard Mordillat
Momie
Fantaisie offerte
à Jérôme Prieur
2023. 168 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.700.3
20,00 €
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Le livre
«En filant vers le métro, Drag s’astreignit à récapituler tout ce qu’ils avaient en magasin : un, une lettre du Poète : “il ne mourra jamais”; deux, le Poète, qui avait suivi tous les matches de la Momie, n’était pas à l’enterrement, cloué sur un lit d’hôpital; trois, la Momie avait un jeune frère (Mômo) qui lui ressemblait comme deux gouttes d’eau; un pékin que personne n’avait jamais vu avant et que personne n’avait jamais revu depuis; quatre, le Poète était décédé chez sa mère, peu de temps après la Momie mais sa femme, Roberte, n’avait pu embrasser que le bois de son cercueil; cinq, sans hésiter, Roberte leur avait lancé des bouchées à la reine dans les dents; six, elle avait un fils capable de cacher des pavillons de banlieue derrière des murs de HLM; sept, ça commençait à faire beaucoup.»
Les deux acteurs principaux de cette farce sont un peu moins candides, moins bras cassés que leurs illustres modèles littéraires; ils ont quelque chose à voir avec leurs modèles réels et leur aventure n’est pas sans rappeler celle que l’auteur et le dédicataire de ce livre ont eux-mêmes vécue dans leur quête d’un écrivain mythique, un héros qui n’était pas précisément, dans la réalité, champion de billard. Ni pastiche de roman noir, ni roman à clés, cette fantaisie, qui ne manque pourtant pas de nous rappeler que «tous les témoins sont de faux témoins», le fait sur le mode jubilatoire de l’histoire à dormir debout.
L’auteur
Né en 1949, Gérard Mordillat est écrivain et cinéaste. Il a publié de nombreux romans, parmi lesquels L’Attraction universelle, Vichy-menthe, Rue des rigoles, La Brigade du rire, La Tour abolie... Il a réalisé une vingtaine de films : La Voix de son maître, Vive la Sociale !, Cher Frangin, En compagnie d’Antonin Artaud, L’Apprentissage de la ville... Avec Jérôme Prieur, il est l’auteur de la trilogie documentaire sur les origines du christianisme Corpus Christi. Ainsi que de La véritable histoire d’Artaud le Mômo (1993, réédité accompagné d’un livre en 2020 à nos éditions).
Extrait
Drag n’avait pas deux femmes pour s’occuper de lui sans oublier Bella, la petite sœur de Kathy, qui venait souvent faire ses devoirs à la maison et en profitait pour apprendre comment se faire faire un enfant. Drag vivait comme un moine dans une chambre du Printania, au centre de Ghostville, à côté du cirque d’État. Une piaule toute simple avec du papier fleuri sur le mur, une table, une chaise, une télé dans un coin, les commodités et c’était tout. Après son divorce avec Chantal, une nièce du Colonel Gordon, le temps de se retourner, il avait dû laisser tout ce qu’il possédait dans un garde-meuble. Hélas, ce temps-là avait duré plus que prévu. Quand enfin il allait se décider à se réinstaller quelque part, tout était parti en fumée. Le garde-meuble avait flambé, sans doute parce qu’il avait fourré son nez où il ne fallait pas dans une enquête sur une succession. Depuis, Drag n’avait plus de meubles, plus de livres, plus de souvenirs, plus rien; juste une valise avec trois chemises, deux pantalons et une collection de chaussettes et de slips assortis. Sa seule coquetterie…
Il déposa Merj devant chez lui :
Sois sage, et si t’es pas sage, sois prudent !
Et il prit la direction des «Monteuses», un bar où il avait ses habitudes…
Les Monteuses, ça ne s’invente pas, était situé en haut d’un escalier dans une rue basse de Ghostville. Pour y arriver, il fallait monter, descendre, monter. Ça se méritait. Ça faisait travailler les cuisses et les fessiers. Drag s’installa au comptoir, sur un tabouret haut. Nat, une grande perche au regard de cocker, vint elle-même prendre la commande.
Tiens, Salman sans Rushdie ! Qu’est-ce qui t’amène ?
’soir Nat !
Et, jetant un coup d’œil à la salle.
Ça donne ce soir ?
C’est mou. Très mou…
Tu devrais mettre le chant des baleines.
Je crois que je vais plutôt mettre des chiens qui hurlent à la mort…
Aux Monteuses, le juke-box était assez particulier et pour tout dire tout à fait exceptionnel. On ne choisissait pas une chanson, un air de jazz ou de la variété, mais des sons. Une incroyable collection de sons que Nat et sa sœur Thalie avait réunie pendant les années où elles avaient travaillé aux actualités télévisées. Il y en avait pour tous les goûts, pour toutes les circonstances : mitraillage d’un poste de police, nuit de noces paysanne, course automobile, clameurs de la foule, séracs tombant dans la mer, etc… sans compter tous les cris d’animaux possibles et imaginables.
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