Daniel Morvan
La main de la reine
Roman
2022. 144 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.686.0
18,00 €
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Le livre
«Seule, orpheline, élevée par une marâtre dans une île ingrate : si j’étais un personnage, on accuserait l’auteur d’avoir forcé le trait. Il ne tient qu’à moi, pourtant, de tirer avantage de ces bonheurs. J’ai la chance de connaître un veilleur qui admire des tableaux hollandais, un homme rongé d’une passion sourde, à moins que son esprit n’ait été submergé par une croyance farouche dans les esprits, et qu’il soit devenu gardien de phare pour abriter une raison vacillante, cernée par des aigles de nuit qui frappent au carreau. Il regarde des gravures à genoux et semble prier devant elles.»
Un reporter se rend sur une île des Finis Terrae pour enquêter sur les morganes et autres légendes de mer. Mais ce n’est pas une sirène qu’il rencontrera, c’est une adolescente qui vécut là un temps et finit par tenir le phare toute seule, une petite Hollandaise dont la figure absente va prendre consistance grâce au journal de bord qu’en «gardienne du futur» elle a rédigé. Peu à peu, et non sans inquiétude, il découvrira les aspirations de cette enfant perdue qui «grandit dans un brouillard de rêves», et déchiffrera les liens qui l’unissent encore, longtemps après son départ, à certains habitants de l’île (l’aubergiste maternelle, le veilleur taciturne fou de Vermeer, le carrier mélancolique), les liens qui se nouent en «quelque chose d’aussi vibrant et d’aussi beau qu’une tragédie».
L’auteur
Daniel Morvan est né en 1955, de parents agriculteurs à Plougasnou (nord Finistère). Son parcours le conduit à l’École normale supérieure de Saint-Cloud où il tourne un film de fin d’études portant sur la disparition de la paysannerie, L’Assolement (1978). Partant d’un goût premier pour la poésie, passe à la prose : quelques bouts d’essai avant la parution de la fiction (parfois qualifiée de poétique) Lucia Antonia, funambule (éd. Zulma, prix Charles Oulmont 2013 et prix Loire-Atlantique). A croisé la route de Jean-Pierre Abraham, de Paul Louis Rossi, a comme eux aimé la peinture de François Dilasser. Vit à Paimbœuf depuis peu. A exposé ses premières peintures avec ses amis artistes en 2021 sous le titre «Né à Paimbœuf comme tout le monde».
Extrait
II. Livre de bord d’Awen Bell, 1985.
Mon nom est Saskia Meyer. Je suis née à Amsterdam. Je suis parvenue sur Holly dans un couffin, alors que je n’avais pas un an. J’en ai treize maintenant. Treize ans, pas de mère. Lucien, le gardien de phare, passe son temps le nez dans des livres d’art. C’est ma distraction de prendre de la hauteur en venant le visiter là-haut au phare d’Awen, lui qui s’endort volontiers dans ses ouvrages, alors que les commandants de cette partie de la mer lui vouent une totale confiance. Mais, dit-il, il n’a pas choisi d’être vieux, ni d’être faible.
Pour m’occuper, il me dit que je peux aussi écrire dans le livre de bord ce qui m’amuse, y compris ce qu’il me dit en ce moment. Une seconde, monsieur le gardien, je n’écris pas aussi vite que tu parles, nous avons tout notre temps, je répète : nous avons tout notre temps (ce qu’il dit, je le marque en italiques).
Écris à ta guise, petite. On ne tient plus de livre de bord ici, à quoi bon ? Toujours les mêmes histoires. Il ne se passe jamais rien dans un phare.
Personne ne lit ces logbooks. Les plus anciens ont été ouverts un siècle avant notre arrivée, maman et moi, sur l’île. Ce ne sont que des histoires de lampe qu’on allume, de tempête, de brumes sur les récifs, d’aigles de mer foudroyés par un éclair, de ravitaillement, d’huile de colza et autres carburants, de vitres brisées, de relèves, sans parler de la petite vie des gens d’en bas, ceux du sol. Puisque, dois-je le préciser, nous nous trouvons à l’instant où je vous parle à quarante-sept mètres au-dessus de l’eau.
Je suis Saskia Meyer, reporter pour Awen News, édition du soir. Je vous écoute, M. Lucien, gardien en chef du phare. Parlez bien dans le micro, je vous prie. Chef Lucien, en quoi consiste ton travail ?
(Ici, je retranscris à mesure que monsieur le gardien en chef parle, ou disons plutôt bougonne) : Ici, ma Loupiote, c’est comme dans la Royale : tu salues tout ce qui bouge et tu repeins le reste. Enfin, presque. Il n’y a personne à saluer sur un phare. On passe son temps à le peindre. Et à vérifier qu’il tourne bien. Le reste du temps, je regarde des images. On peut regarder ces images sans craindre de passer à côté d’un événement.
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