Alain Galan
Sommeil d’ours
Roman
2021. 128 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.678.5
16,00 €
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Le livre
Exhumant, de la benne aux encombrants dans laquelle elle a été jetée comme un vieux tapis élimé, une peau d’ours sans griffes ni tête, le narrateur, mû par un irrépressible élan fraternel, la recueille. Se doute-t-il qu’en adoptant cette dépouille et en ravivant son pelage, il va bousculer «les choses tranquilles» et réveiller un monde endormi ? À la vérité, lequel va patiemment apprivoiser l’autre ? L’homme ? L’ours ? Lequel, les yeux mi-clos, le museau tendu vers les astres et la mémoire errant, hiverne et s’enfonce jour après jour dans un demi-sommeil peuplé de rêves étranges et de souvenirs enfouis ? Enfin auquel des deux attribuer ces empreintes, griffures dans la coulée ou signes d’encre abandonnés sur la page, immémoriales traces de la fuite éperdue des bêtes ?
L’auteur
Alain Galan vit en Limousin où il est né en 1954. Journaliste et écrivain, il est l’auteur de récits et romans parus ces quarante dernières années chez différents éditeurs. Depuis Bordebrune (1982) et Parcellaire (1985), il tente de nouer une relation étroite entre peinture et écriture et d’exprimer sa complicité avec le silence et le cri des bêtes, Louvière (2010), L’ourle (2012), Peau en poil (2016).
Extrait
Les livres à la benne, était-ce possible ? En rentrant, j’ai fait le détour par le cimetière près duquel, deux fois l’an, la commune dispose en effet trois bennes réservées à la collecte saisonnière des encombrants. Elles débordaient. Dans celle destinée au papier-carton, les invendus de la veille avaient été jetés pêle-mêle dans leurs emballages crevés et, parmi eux, j’ai tout de suite reconnu La vie des éphémères cherchant à se libérer de la gangue d’encre et de papier. Comment sauver ce qui pouvait encore l’être ? Cette caisse en bois de peuplier couverte d’étiquettes, émergeant parmi les cartons, ne contenait-elle pas, elle aussi, des livres ? Je la tirai à moi, l’ouvris. Sur une litière de paille et de copeaux dormait une fourrure. Un moment, j’ai hésité. Était-ce une ancienne louvière ? La pelisse d’un cocher de fiacre ? C’était en réalité une peau de bête. La dépouille d’un ours privé de sa tête et de ses griffes. Il fallait être sans cœur pour l’avoir ainsi abandonnée à la benne, comme un vieux tapis élimé. J’ai reculé la voiture et, hissant, dans le coffre, la malle en bois, j’ai procédé à la levée du corps. Puis, silencieux l’un et l’autre, l’ours et moi, nous sommes rentrés à la maison.
(…) Avec la peau d’ours, c’est un peu la même chose. Image-objet en tant qu’ouvrage de pelletier, elle devient animal lorsque je la caresse. Ce dédoublement ne lui est pas imputable. Seul un dérèglement de mes sens peut l’expliquer. Tantôt je vois la peau, tantôt je vois l’ours. Mon lien à l’une et à l’autre n’est pas le même et pourtant la confusion se produit quelquefois. Ne m’arrive-t-il pas, en me glissant sous le pelage pour me reposer un instant, de me mettre dans la peau de l’ours ? Comme au carnaval, le masque efface les différences ; tout se fait louche et équivoque.
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