Patrick Cloux
Une étrange défaite
Récit
2018. 40 p. 13/17.
ISBN 978.2.86853.660.0
7,00 €
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Le livre
Un bref récit, inspiré par la retrouvaille fortuite d’un ami de jeunesse perdu de vue depuis quarante ans, écrit comme une longue lettre adressée à des proches, dans la mélancolie du temps enfui et au seuil d’un inéluctable hiver…
L’auteur
Patrick Cloux, né en Auvergne en 1952 sous le signe de la balance, pousse devant lui depuis ce jour d’octobre un signe d’indétermination chronique. Après des études de philosophie, il devient un temps employé de librairie, puis travaille dans l’édition, en nomade professionnel. Retiré en 2013 à la campagne, il y cultive son jardin, au propre comme au figuré. Son œuvre littéraire, presque exclusivement composée de «chroniques», vise à établir les liens qui unissent les cultures savantes à leurs ancrages populaires. Parmi ses livres : Dans l’amitié du Merveilleux, Marcher à l’estime, Le grand ordinaire, Mon libraire, sa vie son œuvre, Mes oncles du dimanche (Le temps qu’il fait), Un domaine sous le vent (La Table ronde), Un vin de paille (Stock), Lumières d’Égée, L’odeur des platanes (Éditions du Miroir).
Extrait
On se lâche un peu, le copain et moi, là calés sur notre banc. Tout cela nous revient sans effort. Il semble content maintenant, moi aussi, évoquant sans nostalgie excessive des proches, des gens de nos familles, des souvenirs et des lieux partagés. Il me parle du bel arbre de Judée qu’aimait tant ma mère. De notre passion d’alors pour les curieux romans de Roger Nimier. Je me souviens que le père de l’auteur était ingénieur et qu’il avait inventé l’horloge parlante. Nous avions ainsi l’un et l’autre roulé en nous un tas de babioles amusantes ramassées en ces écarts instables. Il en porte le souvenir inquiet, revoit ces années bénies comme un immense manque. Je comprends bien cela. Il y met une clarté particulière, en retient une touche très troublante. Il en va d’une remémoration précise, comme l’eau calme d’un très ancien temps inentamé, inattaquable, clos comme peut l’être une treille palissée sur les murs chaulés d’une boutique. Quelque chose d’inchangé. Pour ma part, j’avais tout effacé. Je ne me souviens pas de grand-chose. Me remémorer ces zones d’ombre me coûte toujours un peu. Sa mémoire me surprend et interroge une envie inverse, qui est de perdre définitivement de grands pans de ces années, de mettre à distance en partie ma sainte famille, ayant choisi il y a beau temps cette loi de saturation maximale par l’usage intensif de la littérature. Elle trouble et dévoie forcément la réalité en sacrifiant ma mémoire, la recouvre d’histoires qui ne m’appartiennent pas. C’est cet effet ludion derrière lequel je cours depuis si longtemps. Celui-là même qu’à la longue la lecture nous doit. Car la lecture sait nous perdre, nous aide à oublier, à réinventer un mensonge pertinent, un loisir d’agrément, ajouré, portatif et accéléré. Elle nous permet toutes sortes de filiations et nous rend libres d’accéder à d’autres prothèses.
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