Laurent Girerd
Le millier d’arbres sous le regard
Carnet d’un voyage au Japon
2015. 96 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.606.8
14,00 €
|
Le livre
Le millier d’arbres sous le regard est le carnet d’un voyage effectué au Japon pendant la période du hanami. Par hanami, les Japonais désignent ce moment de l’année sacré entre tous durant lequel, rassemblés sous les «nuages roses et flottants» des cerisiers en fleurs, les plus jeunes comme les plus âgés, les ruraux comme les citadins communient à la vue du printemps renaissant.
L’auteur, qui a pris l’avion depuis la France dans le but avoué de s’abîmer lui aussi dans la contemplation de cette pluie de pétales éphémère, retrace ici sa quête improbable. Quête sans cesse déçue, de Tôkyô à Kyôto en passant par les Alpes japonaises. En effet, la floraison n’est jamais vraiment au rendez-vous : toujours en mouvement, elle remonte dans le pays comme une vague et ajoute sa propre nature insaisissable à cette poursuite de la fugacité. Jusqu’à la dernière étape, au mont Yoshino, où, perdant tout espoir de réussite, mettant ses pas dans les pas des poètes anciens Saigyô, Bashô, Buson , l’auteur trouvera la paix dans les collines silencieuses.
Dans ce carnet de voyage, le blanc de la page se lit comme un espace vide où chaque fragment se fait pétale en chute libre.
L’auteur
Laurent Girerd est né à Toulon en 1972. Après un premier livre, L’attache aveugle (Cheyne, 1998), il a publié notamment à nos éditions La traversée (2007), journal d’un soldat de la Légion romaine en poste dans un fortin aux confins du désert saharien, Brève apologie de l’éloignement conjugal (2010), lettre à l’épouse doublée d’une réflexion sur la vie de couple dans l’éloignement consenti, puis Dans l’embrasure des vasistas (2013), recueil de poèmes où il revisite sa Méditerranée natale à travers l’évocation de petites vies intemporelles. Il est aussi l’auteur d’un livre d’artiste en collaboration avec Jean-Gilles Badaire, La longue attente (Faï fioc, 2015), qui a pour cadre l’île d’Ellis Island à New York.
Extrait
Ces pétales de fleurs épars, piétinés, ternis, l’aventure consistera à les rendre à leurs cerisiers d’origine d’où ils recommenceront, je ne l’envisage pas autrement, à tomber en neige fine.
À les sauver, comme l’archéologue époussette avec précaution les ossements de ses pères, de la désintégration promise par les billes que la pluie largue sur nos fronts.
À les laver de toute souillure et les défroisser avec tant de soins que la brise les dotera d’une fraîcheur ascensionnelle contraire aux lois du jour qui va en se couchant.
À leur restituer un peu de ce rose carminé publiquement banni du visage des geishas et qu’elles seules voient remonter, affleurer à l’heure de retirer le fard dans la pénombre intime.
Que ne puis-je pour cela transformer le paysage en bobine et faire défiler le film à rebours, au ralenti, jusqu’à la scène clé où l’abricotier, libéré par le réveil des insectes, a fleuri bec et ongles. Revenir plus en amont encore, avant l’éclosion, jusqu’à envisager le gouffre au bord duquel les bourgeons, prêts à prendre leur envol du fond des âges, se tiennent à l’arrêt.
Alors enfin pourrait se rejouer l’ouverture d’Amarcord : les akènes, les aigrettes, les pollens, les chatons et les anges voleter dans la lumière du souvenir avec des lenteurs de méduses, donnant à voir l’enfance en transparence.
*
Hélas, semblables aux centimes dans l’eau claire de la fontaine, les pétales ont coulé, jetés par des cerisiers qui avaient fait le vœu de te voir avant de mourir. Les temps, hélas, sont à la fonte, à l’extinction des cerisiers. Quelques menus pompons attardés sur la cime jouent encore aux neiges éternelles. Une fleur double isolée par la montée du feuillage éclaire comme une chandelle à travers du papier de riz.
La fleur poupine (de 5,5 à 6 centimètres de diamètre) oscille encore au bout du grêle rameau. Certes, mais pour combien de temps ? La vague écumeuse des cerisiers en fleurs déferle vers la mer d’Okhotsk où elle dispersera les cendres de millions de pétales mort-nés dans tout le pays.
|
|