Alquin
Bois et dérivés
Sculptures, dessins et textes de Nicolas Alquin
Commentaires de Gilbert Lascault
2012. 144 p. 24/27,5.
ISBN 978.2.86853.587.0
30,00 €
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Le livre
«La sculpture perturbe une société amnésique et affairée. Elle en est l’exact contrepoint. Elle dit :
là où le monde se presse, que je m’arrête,
là où la mémoire est floue, que je me souvienne,
là où tout est utile, que je rêve,
là où tout s’évanouit, que je me tienne.
Tel est le “Sculptope” de la sculpture. Il n’a jamais changé, c’est à nous de le retrouver.»
Le sculpteur-tailleur qu’est Alquin n’a pas peur des grands formats ni même des monuments, il manie la hache et la tronçonneuse, il va chercher ses arbres au Gabon et sa voie intérieure au Japon, il fait fondre ses bronzes en Italie, et médite dans son atelier de la banlieue parisienne en modelant de la cire d’abeille ou en dessinant au pinceau sur du papier de Chine. Tout cela ne l’empêche pas de ciseler des petits textes incisifs où la profondeur de la pensée se cache derrière la fantaisie, avec une élégante sensibilité. Alquin est un poète, en somme. Il habite un univers singulier dont ce livre, voulu par lui jusque dans les menus détails, est la carte détaillée.
L’auteur
Nicolas Alquin est né en 1958, à Bruxelles. Sculpteur et dessinateur, il expose en France et à l’étranger depuis 1981. Son travail a fait l’objet de plusieurs catalogues d’exposition. Il a publié plusieurs livres de textes sous son nom (principalement aux éditions de l’Échoppe et chez Fata Morgana) et a illustré des ouvrages de Gilbert Lascault, Franck André Jamme, Jacques Réda, Ivan Alechine, Gérard Macé, Leopold Sedar Senghor, Homero Aridjis…
Extrait
Le plus surprenant c’était le silence, après 16h30, quand les ouvriers s’en étaient allés. Entre le gardien de la porte et moi, dix hectares d’usine vide. Les machines polies par les épidermes aux endroits clés étincelaient. Des chats sortaient de sous les bahuts ou des établis. Quelqu’un avait laissé un bouchon au bout d’un fil de fer pour le petit, et de la pâtée pour la vieille maman. Le clapotis de ma casserole de cire palpitait dans tout cela, tel un babil. Au beau milieu de l’usine, quelques abeilles venaient voir mon bain-marie, de jolies petites amies. La cire régnait, transparent citron d’or fondu, comme une flaque de désir sur mon marbre de travail. Et le gosse, sans les balades, sans copains déconneurs, sans noix dans les poches, sans la pomme pourrie qui vient s’écraser au centre du cartable, le gosse était là. Une abeille aussi.
Je lui dis :
«Comprends ô ma douce ronronnante merveille brune je suis un voleur. Cette cire vient d’un rucher. Mais je me moque du miel ; c’est pourquoi les autres me raillent, et que je me suis échappé jusqu’ici. Je ne vole que ta cire. Mais toi aussi tu es une petite voleuse ! Voleuse de pollen, hein ? On se comprend. Tu es comme moi, gourmande et bosseuse. Regarde, Abeille, ce que mes mains vont faire de ta somptueuse cire et ce n’est pas de la fausse modestie. Je sais bien que je n’atteindrai jamais la perfection de tes alvéoles, va ! Je sais comment tu colles ta petite coupe de cire aux autres demi-sphères de tes voisines. À vous toutes vous pourriez mailler le monde. Mais vous êtes trop rares et l’hiver trop long. Voilà ce que c’est que de voler un peu de printemps aux poubelles. C’est l’hiver qui nous est arrivé à vous et à moi. Vous, le blotti-grouillant de la ruche, comme tout royaume, moi la fièvre statuaire dans ma pauvre caboche.»
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