Cécile Beauvoir
Ce vieil air de blues
Nouvelles
2011. 112 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.541.2
15,00 €
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Le livre
«Souvent les gens ne voient pas les choses autour d’eux, souvent les gens n’écoutent pas les vieux bluesmen maudits, souvent les gens ne veulent pas, tout simplement, ne veulent rien savoir, de la vie, du blues et des oiseaux, parce que sans doute, ça leur ferait trop mal, de regarder tous ces enfants perdus qu’ils croisent chaque jour, tout près de chez eux, le temps de rien, d’un instant, de s’apercevoir que nos vies, nos petites vies, se jouent toutes sur les notes de ce vieil air de blues.»
Cécile Beauvoir excelle à ces courts récits d’une douce sévérité par lesquels elle nous désigne les perdants, les claudicants de la vie, les petits à qui il faudrait «tous les volumes du Littré pour se hisser à la hauteur des plus grands». L’indignation y côtoie l’humour, la nostalgie y dialogue avec la fantaisie, et toujours s’y expriment avec légèreté la tendresse et l’amour de la vie.
L’auteur
Cécile Beauvoir est née en 1967 à Clermont-Ferrand où elle vit et écrit. Après avoir enseigné l’anglais pendant treize ans, elle publie en 2002 son premier recueil de nouvelles, Envie d’amour, aux éditions de Minuit. Suivront ensuite Louise Lullin (roman, Arléa, 2003), Le chemisier (nouvelles, Arléa, 2004), Avec toi (roman, Arléa, 2005) et Pieds nus dans le jardin (nouvelles, Le temps qu’il fait, 2007).
Extrait
Le géant des bois
Vous n’êtes pas, très cher, la page d’un livre qui se tourne. Et comment vous oublier, très cher, vous qui m’avez prise dans vos bras, vous qui riiez avec moi les jours de grand soleil, quand folle j’étais, vous qui me bordiez dans mon grand lit froid, sombre et vide, quand je ne voulais plus vivre, quand je ne trouvais plus, même dans les mots, même dans mon sang, de raison de continuer, tout ça, mon ermitage, en pleine ville, parmi tous ces gens comme des ombres et qui ne me comprenaient pas, mon ermitage dans les bois, dans ces forêts sombres de moi-même où je suivais les pas des maîtres, de ceux, qui, bien avant moi, avaient exploré leurs latitudes, quand j’avais perdu mon chemin, vous qui posiez votre main sur ma main, avec ce grand silence dans vos yeux, vous qui étiez là, pour me porter dans vos bras de géant silencieux, vous qui commenciez, à peine, à faire vos propres pas, vous si jeune alors, géant des forêts du silence, prêt à chausser des bottes de mille lieues, pour aller, au creux des bois, bâtir des cabanes perchées dans les arbres, où je pourrais écrire, pour vous, pour le monde, du fond de mon ermitage, des mots comme des petits cailloux, vous qui aimiez m’entendre vous chanter de ces chansons folles qui me venaient, parfois, les jours de grand soleil, quand folle j’étais, vous entraînant dans la danse des elfes dans les forêts baignées de soleil, dans les arbres tout traversés de gouttes de lumière, pour moi, pour vous, moi seule voyant la magie du grand magicien, vous qui vouliez, pour moi seule, être comme un illusionniste qui m’aurait, par la magie de son silence, rendu le sourire et la chaleur de la lumière, les jours où je les croyais perdus, comment, très cher, dès lors, vous oublier, vous si jeune, vous géant de ces bois que vous traversiez à grandes enjambées, pour me retrouver, quand petite enfant perdue j’étais, maintenant je suis vieille, et maintenant vous êtes un homme, mais comment vous oublier, vous dont le silence est à l’intérieur de moi, même lorsque je ne serai qu’un petit tas de cendres, lorsqu’il ne restera de ce feu qui m’a brûlée que quelques mots sur une page, vous qui êtes, très cher, cher amour, au-dedans de moi pour toujours, comment vous dire autrement tout ce que je vous dois ?
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